Septembre
1890
" une crue
historique de l'Ardèche "
En matière de pluviométrie exceptionnelle, l’épisode de
la fin septembre 1890 constitue, pour l’Ardèche, la
référence principale. Les crues que subirent les
rivières à cette occasion demeurent, depuis plus de cent
ans, les plus fortes jamais observées.
Monsieur
Henry Vaschalde a largement décrit le phénomène, tant du
point de vue de l’observateur météorologique, qu’il
était à l’établissement thermal de Vals les Bains, que
de celui du chroniqueur ardéchois.
C’est grâce à son récit que l’on peut reconstituer la
chronologie de l’épisode, lequel s’est produit en deux
temps :
- les fortes
pluies orageuses commencent dans la nuit du 19 au 20
septembre. Elles se poursuivent, sans faiblir, jusqu’au
matin du 22 (vers 8 heures). Dans cette première phase,
elles touchent surtout, semble-t-il, l’Ardèche
méridionale. Vals les Bains aura reçu 339 mm d’eau
pendant environ 54 heures.
- après une accalmie dans la journée du 22, les orages
reprennent la nuit suivante, en affectant, cette
fois-ci, de façon privilégiée, le nord du département.
Voici les
extraits des observations de M. Vaschalde :
"A Vals les Bains, la pluie commença à tomber le 18
septembre, mais c’était une pluie fine. Dans la nuit,
l’orage éclata, et le 19 à 6 heures du matin, le
pluviomètre de l’Etablissement Thermal avait reçu 22 mm
d’eau. Il plut abondamment le 20 et le 21 : il tomba, en
moins de 30 heures, 175 mm d’eau. Le vent du sud-est
soufflait assez fort. Le lundi 22, à 5 heures du matin,
la pluie tombait à torrents (164 mm d’eau dans la nuit
du 21 au 22 septembre). La Volane montait avec une
effrayante rapidité. A 7 heures, les eaux montaient
toujours. Elles commencèrent à baisser vers 8 heures.
Dans la nuit du 22 au 23, un orage épouvantable
s'abattit encore, au point de faire craindre de nouveaux
désastres. La Volane et l’Ardèche montèrent à un niveau
très élevé. C’est au cours de cette nuit que la Canse et
la Deume firent de grands ravages à Annonay. La crue du
22 s’était arrêtée dans la soirée, avec l’accalmie qui
s’était produite, et l’on espérait en être quitte pour
un moment de crainte. Mais tout le mal devait se
produire à la suite de la pluie torrentielle de la nuit
du 23. A 4 heures du matin, une trombe d’eau, tombée sur
les montagnes, arrivait jusqu’à Annonay."
A noter qu’entre le 18 septembre et la matinée du 23
(soit en cinq jours), il serait tombé 971 mm à
Montpezat.
Maurice PARDE propose une
cartographie des isohyètes de cet épisode.
Toutes les rivières du département se mirent en crue, et
atteignirent des niveaux records :
9 m pour le Chassezac aux Vans ;
7,50 m pour la Beaume à Joyeuse ;
8 m pour la Cance à Annonay (le 23 à 4 heures du
matin) ;
17,30 m pour l’Ardèche à Vallon Pont d’Arc.
Quant à cette
extraordinaire crue de l’Ardèche, M. Vaschalde
témoigne :
" A Vallon, le 20 septembre, à 6 heures du soir, les
eaux de l’Ardèche mesuraient 4,80 m à l’échelle du pont
suspendu. Le lendemain dimanche, à 2 heures du matin,
eut lieu le maximum de cette première crue : 12,10 m.
Les eaux, baissant d’une manière continue, ne mesuraient
plus que 6,60 m à 4 heures du soir. Mais le temps
restait menaçant ; les éclairs se succédaient sans
interruption dans la nuit du 21 au 22.
Le 22 septembre, à 6 heures du matin, l’Ardèche mesurait
déjà 9,10 m ; à 8 heures, la crue atteignait 13 m, et
vers midi 17,30 m. Son lit de Vallon à Salavas, avait
une largeur de 800 à 900 m. Elle débitait environ 10000
mètres cubes par seconde. Au Pont d’Arc, la crue a dû
atteindre 21 m… "
Les dégâts furent considérables. Sur le seul bassin de
l’Ardèche, 28 ponts furent emportés. Le réseau routier
souffrit énormément. Les destructions furent
innombrables. On compta une cinquantaine de morts… Il
est frappant de constater l’étendue géographique de la
catastrophe. Peu de régions furent épargnées car, si le
bassin de l’Ardèche fut terriblement affecté le 22, les
vallées du Haut-Vivarais souffrirent à leur tour le 23.
Le récit de
M. Vaschalde dresse, commune par commune, un inventaire
saisissant des sinistres :
"A Aubenas, toutes les récoltes sont perdues, les
jardins, les prairies, les vignes sont couverts par 1,50
m à 2 m de sable ou de limon…Dans le faubourg du Pont,
pas un magasin n’est épargné, quatre maisons se sont
écroulées, l’une d’elles entraînant une personne… La
route nationale 102 est effondrée depuis Labégude jusque
au-dessus de Malpas… A Pont de Labeaume, une famille de
huit personnes a disparu dans les décombres de sa
maison. Le pont de Rolandy, construit en 1858, de façon
à défier les plus terribles crues, a été anéanti, ses
débris ont été retrouvés 400 m plus bas… A Thueyts, cinq
maisons ont été détruites par le torrent de la Farre…A
Lasouche, la maison d’école, la mairie, tous les
moulins, ont été emportés. Un jeune homme a disparu.
Vingt-trois maisons se sont effondrées… A Burzet, deux
ponts ont été emportés…A Montpezat, deux usines à soie
ont été emportées, en même temps qu’un moulin. Une femme
et un enfant ont été noyés. A Mayres, les désastres sont
épouvantables… La commune de Valgorge a été une des plus
cruellement éprouvées : six personnes disparues,
dix-sept maisons emportées, chemins affreusement
ravinés, ponts coupés, dégâts considérables dans la
plupart des propriétés…Les effets de l’inondation ont
été terribles dans les villages de St.Martin (huit
maisons emportées, trois enfants disparus) et Chastanet
(huit maisons détruites, quatre victimes). La Beaume a
complètement détruit le pont de Sarabasche…Aux
Deux-Aygues le pont de Molines a été détruit…A Thines,
au village des Amets, quatre maisons se sont écroulées
ensevelissant deux enfants…La commune de Chambonas a été
particulièrement dévastée…A Joyeuse, la route nationale
104 a été coupée pendant trois jours. Toutes les vignes,
prêtes à vendanger, ont disparu. A Rosières, le cadavre
d’un enfant a été trouvé dans l’écluse d’un moulin…A
Vogüé, le pont suspendu a été complètement détruit. Les
eaux ont emporté deux maisons, un moulin, six granges.
Deux cadavres inconnus ont été trouvés au quartier des
granges…A Chauzon, le cadavre d’une femme inconnue a été
arrêté sur la rive gauche de l’Ardèche. Les communes de
Grospierres, Calteljau, Beaulieu ont été ravagées.
A Flaviac, les eaux de l’Ouvèze ont emporté un pont, et
entraîné un homme. Le pont de St.Laurent du Pape, sur
l’Erieux, a été emporté. Il datait des Etats du Vivarais
et avait supporté les crues de 1827, 1846 et 1857. De
Beauchastel au Cheylard, les dégâts sont énormes.
L’établissement thermal de St-Georges les Bains a été
détruit en partie. A St-Peray, le mardi 23, les deux
rivières qui traversent la commune (Merdary et Miallan)
ont débordé vers 5 heures. A Satillieu, dans la nuit du
22 au 23, le Nor, qui descend de St-Symporien, a
tellement grossi la rivière d’Ay que celle-ci a changé
une partie de son lit, ravageant affreusement tous les
lieux qu’elle traverse. La localité d’Annonay a été
peut-être la plus gravement éprouvée du département, en
raison des deux cours d’eau torrentiels qui la baignent
(la Deume et la Canse) et des importantes usines que ces
rivières desservent sur leurs bords. Les dégâts sont
considérables, l’eau montait au premier étage des
maisons, les bords de Canse sont ravagés, plusieurs
cadavres ont été vus flottant sur l’eau.
La vallée de la Vocance a été très éprouvée. De
Villevocance à St.Julien-Vocance, tous les ponts et
passerelles ont été emportés.
A Tounon, les dommages les plus graves ont été causés
par la crue subite du Doux. La ligne de chemin de fer en
construction, de Tournon à Lamastre est détruite en
plusieurs endroits. Plusieurs ponts se sont écroulés ".
En Lozère, de
fortes précipitations ont également été relevées:
A Vialas, l'observateur a recueilli 884 mm en 5 jours:
43.5 mm le 19; 284 mm le 20 (dont 22 mm de midi à
18 H, 190 mm de 18 H à 6 H du matin et 72 mm de 6 H à
midi);
296.5 mm le 21 (dont 114 mm de midi à 18 H, 180 mm de 18
H à 6 H du matin et 2.5 mm de 6 H à midi); 210 mm le 22
(dont 20 mm de midi à 18 H, 190 mm de 18 H à 6 H du
matin). |